
La mise en circulation de produits alimentaires impropres à la consommation constitue une infraction grave dans l’arsenal juridique français. Parmi ces comportements répréhensibles, la vente intentionnelle de viande avariée représente un cas particulièrement préoccupant pour la santé publique. Cette pratique, loin d’être anecdotique, engage la responsabilité pénale des professionnels concernés à plusieurs titres. Le cadre législatif français, renforcé par les directives européennes, prévoit un dispositif répressif sévère visant à protéger les consommateurs. Cet examen juridique approfondi analyse les fondements légaux, les mécanismes de qualification pénale, les sanctions encourues, ainsi que l’évolution jurisprudentielle dans ce domaine spécifique du droit alimentaire et pénal.
Cadre légal et qualification juridique de la vente de viande avariée
La commercialisation intentionnelle de viande avariée est appréhendée par plusieurs corpus juridiques qui se complètent pour former un arsenal répressif cohérent. Le Code de la consommation constitue le premier rempart contre ces pratiques frauduleuses, notamment à travers son article L.413-1 qui réprime « le fait, pour un professionnel, de tromper ou tenter de tromper le contractant, par quelque moyen que ce soit, même par l’intermédiaire d’un tiers » sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles ou la composition du produit. Cette tromperie est punie de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.
Le Code rural et de la pêche maritime vient renforcer ce dispositif en interdisant spécifiquement, dans son article L.231-1, la mise sur le marché de denrées alimentaires d’origine animale préjudiciables à la santé. Ce texte s’articule avec les règlements européens du « Paquet hygiène », notamment le règlement (CE) n°178/2002 établissant les principes généraux de la législation alimentaire et le règlement (CE) n°853/2004 fixant des règles spécifiques d’hygiène applicables aux denrées alimentaires d’origine animale.
La qualification pénale de ces faits peut s’opérer sous plusieurs angles:
- La tromperie sur la marchandise (article L.413-1 du Code de la consommation)
- La mise en danger de la vie d’autrui (article 223-1 du Code pénal)
- Les atteintes involontaires à l’intégrité de la personne (articles 222-19 et suivants du Code pénal)
- L’administration de substances nuisibles (article 222-15 du Code pénal)
La jurisprudence a progressivement affiné les critères de qualification de ces infractions. Dans un arrêt du 4 novembre 2010, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé que la vente de viande avariée pouvait constituer simultanément une tromperie et une mise en danger d’autrui, consacrant ainsi le cumul d’infractions. Cette position a été réaffirmée dans plusieurs décisions ultérieures, notamment dans un arrêt du 20 septembre 2016 où les juges ont reconnu l’élément intentionnel de la tromperie dès lors que le professionnel ne pouvait ignorer l’état de dégradation des produits commercialisés.
L’étendue de la responsabilité s’étend à l’ensemble de la chaîne de distribution. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 mai 2018 a ainsi retenu la responsabilité d’un grossiste qui avait fourni à des détaillants de la viande dont les dates de péremption avaient été falsifiées, considérant qu’il existait une « chaîne de responsabilité solidaire » entre les différents opérateurs économiques impliqués dans la commercialisation de produits alimentaires.
L’élément intentionnel dans la mise en danger : analyse juridique
La caractérisation de l’intention revêt une importance capitale dans la qualification des infractions liées à la vente de viande avariée. L’élément moral, ou mens rea en droit pénal, constitue la pierre angulaire de la répression de ces comportements délictueux. Dans le contexte spécifique de la commercialisation de viande impropre à la consommation, cet élément intentionnel se manifeste sous différentes formes.
La tromperie, telle que définie à l’article L.413-1 du Code de la consommation, requiert un dol général, c’est-à-dire la conscience de vendre un produit non conforme aux attentes légitimes du consommateur. La jurisprudence considère que cette intention est caractérisée dès lors que le professionnel, en raison de sa qualification et de son expérience, ne pouvait ignorer l’état altéré de la marchandise. Ainsi, dans un arrêt du 15 mars 2017, la Cour de cassation a estimé que le simple fait pour un boucher de ne pas avoir procédé aux vérifications élémentaires sur l’état de la viande suffisait à établir l’élément intentionnel de l’infraction.
Concernant la mise en danger de la vie d’autrui (article 223-1 du Code pénal), l’élément intentionnel se traduit par la notion de « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ». Cette qualification s’applique parfaitement au cas d’un commerçant qui, en toute connaissance de cause, vendrait de la viande avariée en méprisant les règles d’hygiène alimentaire. Dans un arrêt du 4 octobre 2011, la Chambre criminelle a retenu cette qualification à l’encontre d’un gérant de supermarché qui avait ordonné la remise en vente de produits carnés après modification des dates de péremption, considérant qu’il avait délibérément enfreint les dispositions du règlement (CE) n°178/2002.
La preuve de l’intention peut être établie par différents moyens:
- Les témoignages d’employés attestant de directives explicites pour commercialiser des produits périmés
- La falsification des dates de péremption ou d’autres informations d’étiquetage
- La réintégration en rayon de produits initialement retirés de la vente
- L’existence d’un système organisé de reconditionnement de viandes périmées
Le Tribunal correctionnel de Lyon, dans un jugement du 12 janvier 2019, a ainsi considéré que la mise en place d’un processus systématique de ré-étiquetage des produits carnés avec de nouvelles dates de péremption constituait une preuve irréfutable de l’intention frauduleuse du commerçant. Cette décision s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle qui tend à faciliter la preuve de l’élément intentionnel en matière de fraudes alimentaires.
La distinction entre la faute intentionnelle et la négligence demeure néanmoins cruciale. Si la vente de viande avariée résulte d’un simple manquement aux procédures de contrôle, sans volonté délibérée de commercialiser des produits impropres à la consommation, la qualification pourra être requalifiée en mise en danger involontaire, avec des conséquences pénales différentes. Cette nuance a été explicitée par la Cour d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 7 juin 2016, où elle a distingué entre le comportement du directeur de magasin qui avait expressément demandé la remise en vente de produits périmés (intention caractérisée) et celui d’un chef de rayon qui avait simplement omis de vérifier l’état des marchandises (négligence).
Les sanctions pénales et les responsabilités engagées
L’arsenal répressif applicable à la vente intentionnelle de viande avariée se caractérise par sa diversité et sa sévérité croissante. Les sanctions pénales varient selon la qualification retenue et les conséquences effectives des actes incriminés.
La tromperie sur la marchandise, infraction prévue à l’article L.413-1 du Code de la consommation, est punie de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende. Ce montant peut être porté à 10% du chiffre d’affaires moyen annuel pour les personnes morales, calculé sur les trois derniers exercices connus. Dans un arrêt du 22 novembre 2017, la Cour d’appel de Paris a confirmé une amende de 150 000 euros à l’encontre d’une société de distribution ayant commercialisé sciemment des produits carnés avariés, démontrant l’application effective de ces sanctions pécuniaires dissuasives.
La mise en danger délibérée de la vie d’autrui (article 223-1 du Code pénal) est sanctionnée par une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Cette qualification, souvent retenue en complément de la tromperie, permet d’aggraver la réponse pénale même en l’absence de préjudice effectif pour les consommateurs.
Lorsque la consommation de viande avariée entraîne des atteintes à l’intégrité physique des consommateurs, les peines s’alourdissent considérablement:
- En cas d’incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois: trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende (article 222-19 du Code pénal)
- En cas d’incapacité totale de travail supérieure à trois mois: cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende
- En cas de décès d’un consommateur: sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende (article 221-6 du Code pénal)
Ces peines peuvent être assorties de peines complémentaires particulièrement dissuasives pour les professionnels. Le Tribunal correctionnel de Marseille, dans un jugement du 14 mars 2018, a ainsi prononcé, outre une peine d’emprisonnement avec sursis, l’interdiction définitive d’exercer une activité professionnelle dans le secteur alimentaire à l’encontre d’un boucher récidiviste ayant vendu intentionnellement de la viande avariée.
La responsabilité pénale peut s’étendre à plusieurs niveaux de la chaîne commerciale. Le dirigeant de l’entreprise est généralement le premier visé, en application de l’article 121-1 du Code pénal qui consacre le principe de responsabilité personnelle. Toutefois, la jurisprudence a progressivement admis la responsabilité des cadres intermédiaires disposant d’une délégation de pouvoir valide. Dans un arrêt du 11 avril 2012, la Cour de cassation a ainsi confirmé la condamnation d’un chef de rayon boucherie qui avait personnellement organisé la remise en vente de viandes périmées, malgré les consignes contraires de sa hiérarchie.
La personne morale peut être déclarée pénalement responsable en vertu de l’article 121-2 du Code pénal, lorsque l’infraction est commise pour son compte par ses organes ou représentants. Les sanctions applicables aux personnes morales sont particulièrement sévères, pouvant aller jusqu’à la dissolution de l’entreprise dans les cas les plus graves. Plus fréquemment, les tribunaux prononcent des amendes dont le montant peut atteindre cinq fois celui prévu pour les personnes physiques, soit 1 500 000 euros pour une tromperie simple.
Circonstances aggravantes et récidive
Le législateur a prévu plusieurs circonstances aggravantes spécifiques aux infractions alimentaires. L’article L.454-3 du Code de la consommation prévoit ainsi que les peines d’emprisonnement et d’amende sont doublées lorsque la tromperie « a eu pour conséquence de rendre l’utilisation de la marchandise dangereuse pour la santé de l’homme ou de l’animal ». Cette disposition s’applique particulièrement aux cas de commercialisation de viande avariée.
Jurisprudence et études de cas emblématiques
L’analyse de la jurisprudence relative à la vente intentionnelle de viande avariée révèle une évolution significative de l’approche judiciaire face à ces infractions. Plusieurs affaires emblématiques ont contribué à façonner le cadre jurisprudentiel actuel et méritent une attention particulière.
L’affaire Spanghero, qui a éclaté en 2013 dans le contexte du scandale de la viande de cheval, constitue un précédent majeur. Bien que portant initialement sur une substitution d’espèce animale, cette affaire a mis en lumière des pratiques de reconditionnement de viandes impropres à la consommation. Le Tribunal correctionnel de Paris, dans son jugement du 16 avril 2019, a condamné plusieurs dirigeants à des peines allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement dont un an ferme et 50 000 euros d’amende pour tromperie aggravée. Cette décision a établi un standard élevé dans la répression de la fraude alimentaire organisée.
Dans une affaire jugée par la Cour d’appel de Rennes le 23 septembre 2015, un boucher qui avait systématiquement modifié les dates de péremption sur des produits carnés et vendu de la viande manifestement avariée a été condamné à dix-huit mois d’emprisonnement dont six mois ferme. Les juges ont particulièrement insisté sur la « mise en péril délibérée de la santé des consommateurs » et le « mépris caractérisé des règles élémentaires d’hygiène alimentaire ». Cette décision illustre la sévérité croissante des juridictions face à ces comportements.
L’arrêt de la Cour de cassation du 7 février 2017 a apporté une clarification essentielle sur la preuve de l’élément intentionnel. Dans cette affaire, un gérant de supermarché contestait sa condamnation pour tromperie, arguant qu’il n’avait pas personnellement manipulé les produits avariés. La Haute juridiction a rejeté ce pourvoi, considérant que « le prévenu, en sa qualité de directeur de l’établissement, ne pouvait ignorer les pratiques frauduleuses mises en œuvre dans son magasin et qu’il les avait, à tout le moins, tacitement approuvées ». Cette décision consacre une présomption de connaissance à l’égard des dirigeants, facilitant ainsi la caractérisation de l’élément intentionnel.
Plusieurs décisions récentes témoignent d’une tendance à la qualification cumulative des infractions:
- Le Tribunal correctionnel de Lyon (15 mai 2018) a retenu simultanément les qualifications de tromperie aggravée, mise en danger d’autrui et atteintes involontaires à l’intégrité physique à l’encontre d’un restaurateur qui servait des viandes avariées, ayant provoqué l’hospitalisation de plusieurs clients
- La Cour d’appel de Montpellier (12 janvier 2019) a confirmé la condamnation d’un boucher pour tromperie et mise en danger d’autrui, ajoutant la qualification de faux et usage de faux en raison de la falsification systématique des documents de traçabilité
La jurisprudence a progressivement élargi le champ des personnes susceptibles d’être poursuivies. Dans un arrêt du 8 mars 2016, la Cour de cassation a validé la condamnation d’un vétérinaire inspecteur qui avait délibérément négligé de signaler l’état sanitaire préoccupant d’un lot de viande, se rendant ainsi complice de la mise sur le marché de produits dangereux. Cette décision étend la responsabilité pénale aux agents chargés du contrôle sanitaire qui manqueraient délibérément à leurs obligations.
Les juridictions ont progressivement affiné leur analyse de l’aléa causal entre la consommation de viande avariée et les préjudices sanitaires. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 4 novembre 2018 a ainsi retenu qu’il n’était pas nécessaire de prouver avec certitude absolue que les symptômes présentés par les victimes résultaient exclusivement de la consommation des produits incriminés, dès lors qu’un faisceau d’indices concordants établissait ce lien de causalité avec une probabilité suffisante. Cette approche pragmatique facilite l’indemnisation des victimes.
Prévention et contrôles : vers une responsabilisation accrue des professionnels
Face à la persistance des pratiques frauduleuses dans le secteur de la viande, le dispositif préventif a considérablement évolué ces dernières années, combinant renforcement des contrôles administratifs et responsabilisation des acteurs économiques.
Le système français de contrôle sanitaire des denrées alimentaires repose principalement sur les services de la Direction Départementale de la Protection des Populations (DDPP) qui dispose d’agents assermentés habilités à effectuer des inspections inopinées dans l’ensemble des établissements de la chaîne alimentaire. Ces contrôles, dont la méthodologie a été précisée par l’arrêté ministériel du 8 juin 2006 modifié, s’articulent autour de plusieurs axes:
- Vérification du respect des températures de conservation de la viande
- Contrôle de la traçabilité des produits carnés
- Examen des procédures d’autocontrôle mises en place par les professionnels
- Inspection visuelle et, le cas échéant, prélèvements pour analyses microbiologiques
La réglementation européenne, notamment à travers le règlement (UE) 2017/625 relatif aux contrôles officiels, a considérablement renforcé les obligations des États membres en matière de surveillance des filières alimentaires. Ce texte, entré en vigueur en décembre 2019, impose une approche fondée sur l’analyse des risques et prévoit des mécanismes de coopération renforcée entre les autorités nationales.
Parallèlement, le législateur français a progressivement durci les sanctions administratives applicables en cas de manquements. L’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016 a ainsi introduit la possibilité pour l’administration d’infliger des amendes administratives pouvant atteindre 500 000 euros en cas de non-respect des règles d’hygiène, sans préjudice des poursuites pénales. Cette dualité des sanctions, administrative et pénale, renforce considérablement l’arsenal répressif.
La responsabilisation des professionnels s’opère principalement à travers l’obligation de mettre en place un système d’analyse des dangers et maîtrise des points critiques (HACCP). Ce dispositif, rendu obligatoire par le règlement (CE) n°852/2004, impose aux opérateurs d’identifier les dangers potentiels à chaque étape de la production et de la distribution des denrées alimentaires, et de mettre en œuvre des mesures préventives adaptées. Le non-respect de cette obligation constitue une infraction spécifique, indépendamment de la mise en danger effective des consommateurs.
La formation des professionnels constitue un autre axe majeur de la prévention. Le décret n°2011-731 du 24 juin 2011 a rendu obligatoire la formation aux règles d’hygiène alimentaire pour tous les établissements de restauration commerciale. Cette obligation a été étendue aux métiers de bouche par l’arrêté du 5 octobre 2011. Le non-respect de ces dispositions est sanctionné par une contravention de cinquième classe (1 500 euros).
Les organisations professionnelles du secteur de la viande ont progressivement développé des référentiels de bonnes pratiques qui vont au-delà des exigences réglementaires minimales. La Confédération Française de la Boucherie a ainsi élaboré un guide des bonnes pratiques d’hygiène validé par les autorités sanitaires, qui constitue une référence pour l’ensemble de la profession. L’adhésion à ces référentiels volontaires est de plus en plus considérée par les tribunaux comme un élément d’appréciation de la diligence des professionnels.
La traçabilité des produits carnés a été considérablement renforcée par le règlement (UE) n°931/2011 qui impose des exigences spécifiques en matière d’information tout au long de la chaîne alimentaire. Cette traçabilité facilite non seulement l’identification des responsabilités en cas de problème sanitaire, mais constitue un puissant outil de prévention en responsabilisant chaque maillon de la filière.
Perspectives d’évolution du droit face aux enjeux sanitaires contemporains
L’encadrement juridique de la commercialisation des produits carnés connaît une mutation profonde, sous l’influence conjuguée des scandales alimentaires récents, de l’évolution des attentes sociétales et des avancées scientifiques dans la détection des risques sanitaires.
La tendance législative actuelle s’oriente vers un durcissement des sanctions applicables aux fraudes alimentaires. La loi n°2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, dite loi EGAlim, a ainsi doublé les peines encourues en cas de tromperie lorsque celle-ci porte sur des denrées alimentaires. Cette évolution témoigne d’une volonté politique de traiter avec une sévérité particulière les atteintes à la sécurité alimentaire.
Le projet de directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte, adopté en 2019, devrait faciliter le signalement des pratiques frauduleuses dans le secteur alimentaire. Ce texte prévoit en effet une protection spécifique pour les personnes qui dénoncent des infractions au droit de l’Union européenne, notamment en matière de sécurité des aliments. Cette évolution pourrait considérablement renforcer la détection des pratiques de commercialisation de viande avariée, souvent dissimulées au sein des entreprises.
L’émergence de nouvelles technologies de contrôle ouvre des perspectives prometteuses pour la prévention des fraudes alimentaires:
- Les capteurs connectés permettant un suivi en temps réel des températures de conservation
- La technologie blockchain appliquée à la traçabilité des produits carnés
- Les méthodes d’analyse rapide permettant de détecter sur site la contamination microbienne des viandes
- L’intelligence artificielle appliquée à l’analyse des données de contrôle pour identifier les comportements à risque
Ces innovations technologiques pourraient progressivement être intégrées dans le cadre normatif, comme l’illustre le règlement (UE) 2019/1381 sur la transparence et la durabilité de l’évaluation des risques dans la chaîne alimentaire, qui prévoit la création d’une base de données européenne des études scientifiques sur la sécurité alimentaire.
La responsabilité sociale des entreprises (RSE) émerge comme un levier complémentaire de régulation dans le domaine alimentaire. Plusieurs grandes enseignes de distribution ont ainsi adopté des chartes éthiques qui incluent des engagements spécifiques en matière de sécurité des produits alimentaires, allant au-delà des exigences réglementaires minimales. Ces engagements volontaires, bien que dépourvus de force contraignante directe, peuvent néanmoins être source d’obligations juridiques par le biais de la responsabilité contractuelle ou délictuelle.
L’évolution du contentieux de la vente de viande avariée pourrait être marquée par le développement des actions de groupe en matière de consommation, introduites en droit français par la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Ce mécanisme processuel, encore peu utilisé dans le domaine alimentaire, offre des perspectives intéressantes pour l’indemnisation collective des victimes de fraudes alimentaires. Un premier précédent a été établi en 2018 avec l’action engagée par l’UFC-Que Choisir contre un distributeur accusé d’avoir commercialisé des produits altérés.
La coopération internationale en matière de lutte contre la fraude alimentaire constitue un autre axe majeur d’évolution. Le réseau FOOD FRAUD, créé en 2018 à l’initiative de la Commission européenne, facilite l’échange d’informations entre les autorités nationales et la coordination des enquêtes transfrontalières. Cette coopération renforcée apparaît indispensable face à la mondialisation des filières alimentaires et à l’internationalisation des réseaux de fraude.
Enfin, la jurisprudence pourrait connaître une évolution significative avec la reconnaissance progressive du préjudice d’anxiété spécifique aux consommateurs de produits alimentaires potentiellement dangereux. Si cette notion a été principalement développée dans le contentieux de l’amiante, plusieurs décisions récentes en étendent progressivement le champ d’application. Un jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre du 11 mai 2018 a ainsi reconnu l’existence d’un préjudice moral distinct résultant de la crainte légitime de développer une pathologie après consommation d’un produit alimentaire contaminé.
Protection juridique du consommateur : recours et indemnisation
Les victimes de la commercialisation de viande avariée disposent d’un arsenal juridique diversifié pour obtenir réparation des préjudices subis. Le cadre légal français, enrichi par les apports du droit européen, offre plusieurs voies de recours complémentaires qui méritent une analyse détaillée.
La responsabilité civile du vendeur constitue le premier fondement invocable par les consommateurs lésés. Cette responsabilité peut être engagée sur plusieurs fondements juridiques distincts:
- La garantie légale de conformité (articles L.217-4 et suivants du Code de la consommation), qui présume la non-conformité du produit existante au moment de la délivrance
- La garantie des vices cachés (articles 1641 et suivants du Code civil), particulièrement adaptée aux défauts non apparents comme l’altération microbiologique de la viande
- La responsabilité du fait des produits défectueux (articles 1245 et suivants du Code civil), issue de la directive européenne 85/374/CEE, qui établit une responsabilité sans faute du producteur
En matière de préjudice corporel consécutif à la consommation de viande avariée, la jurisprudence reconnaît une large palette de dommages indemnisables. Dans un arrêt du 24 septembre 2015, la Cour d’appel de Bordeaux a ainsi accordé réparation non seulement pour les souffrances physiques endurées (hospitalisation pour intoxication alimentaire sévère), mais aussi pour les préjudices économiques résultant de l’incapacité temporaire de travail et le préjudice moral lié à l’anxiété persistante concernant la consommation de produits carnés.
L’action civile exercée dans le cadre d’une procédure pénale offre plusieurs avantages pratiques pour les victimes. Outre la possibilité de bénéficier de l’enquête menée par les autorités publiques, cette voie procédurale permet de solliciter des dommages-intérêts sur le fondement de l’article 2 du Code de procédure pénale. La constitution de partie civile peut intervenir à tout moment de la procédure, jusqu’à la clôture des débats devant la juridiction de jugement.
Les associations de consommateurs agréées jouent un rôle croissant dans la défense des intérêts des victimes. L’article L.621-1 du Code de la consommation leur reconnaît le droit d’exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs. Cette action associative s’est révélée particulièrement efficace dans plusieurs affaires récentes impliquant la commercialisation de viande avariée. En 2017, l’association UFC-Que Choisir a ainsi obtenu la condamnation d’une chaîne de supermarchés à verser 50 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice porté à l’intérêt collectif des consommateurs, après la découverte de pratiques systématiques de reconditionnement de viandes périmées.
L’action de groupe, introduite en droit français par la loi Hamon du 17 mars 2014 et codifiée aux articles L.623-1 et suivants du Code de la consommation, offre un cadre procédural adapté aux préjudices de masse résultant de la commercialisation de produits alimentaires dangereux. Cette procédure, encore peu utilisée dans le domaine alimentaire, présente néanmoins un potentiel considérable pour l’indemnisation collective des victimes.
Les mécanismes alternatifs de règlement des litiges connaissent un développement significatif en matière de contentieux alimentaire. La médiation de la consommation, rendue obligatoire par l’ordonnance n°2015-1033 du 20 août 2015, offre un cadre propice à la résolution amiable des litiges individuels. Plusieurs médiateurs sectoriels ont été agréés dans le domaine alimentaire, notamment le Médiateur des entreprises du commerce et de la distribution.
L’indemnisation des préjudices résultant de la consommation de viande avariée soulève des questions complexes d’évaluation du dommage. La jurisprudence tend à reconnaître une large palette de préjudices indemnisables:
- Les préjudices patrimoniaux: frais médicaux non remboursés, pertes de revenus pendant l’incapacité temporaire
- Les préjudices extrapatrimoniaux: souffrances endurées, préjudice d’agrément, préjudice d’anxiété
- Le préjudice spécifique de contamination, reconnu initialement pour les victimes du VIH et progressivement étendu à d’autres pathologies d’origine alimentaire
La question du lien de causalité entre la consommation de viande avariée et les pathologies développées ultérieurement constitue souvent le point névralgique du contentieux indemnitaire. La Cour de cassation, dans un arrêt du 22 mai 2008, a consacré la théorie de la causalité adéquate, permettant d’établir ce lien sur la base d’un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes, sans exiger une certitude scientifique absolue. Cette approche pragmatique facilite l’indemnisation des victimes tout en préservant l’équilibre du système de responsabilité civile.
L’évolution récente du droit de la consommation témoigne d’une volonté de renforcer la protection préventive des consommateurs, notamment à travers les mécanismes d’alerte et de rappel des produits dangereux. L’arrêté du 28 avril 2021 relatif aux règles sanitaires applicables aux activités de commerce de détail de produits alimentaires a ainsi renforcé les obligations d’information des consommateurs en cas de détection d’un danger associé à un produit déjà commercialisé.