La contestation des ordres de recette communaux face à la prescription : enjeux et stratégies juridiques

Face à un ordre de recette émis par une commune, tout redevable dispose de moyens légaux pour contester cette créance. La prescription, délai au-delà duquel une action en justice n’est plus recevable, constitue un argument juridique de poids. Entre le Code général des collectivités territoriales, la jurisprudence administrative et les règles de comptabilité publique, naviguer dans ce domaine exige une connaissance approfondie des textes et des procédures. Ce document analyse les fondements juridiques, les délais applicables et les voies de recours disponibles pour contester un ordre de recette communal en s’appuyant sur la prescription, tout en examinant les positions des tribunaux administratifs et du Conseil d’État sur cette question complexe.

Fondements juridiques de la prescription en matière de créances communales

La prescription des créances détenues par les collectivités territoriales s’inscrit dans un cadre légal précis. Le principe général est posé par l’article L.1617-5 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), qui organise le régime juridique applicable aux ordres de recette émis par les communes. Ce texte fondamental prévoit notamment que l’action des comptables publics s’exerce dans un certain délai, au-delà duquel la créance est considérée comme prescrite.

La loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publics, constitue le texte de référence en la matière. Elle établit un délai de prescription quadriennale, signifiant que les créances non réclamées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis sont définitivement éteintes.

Ce principe a été confirmé par la jurisprudence administrative, notamment dans l’arrêt du Conseil d’État du 13 avril 2016 (n°382490), qui rappelle que « les créances des personnes publiques se prescrivent par quatre ans à compter de la date à laquelle les droits ont été acquis ».

Les différents types de prescriptions applicables

Il convient de distinguer plusieurs types de prescriptions susceptibles d’affecter un ordre de recette communal :

  • La prescription d’assiette : elle concerne la naissance même de la créance
  • La prescription de l’action en recouvrement : elle s’applique à l’action du comptable pour recouvrer une créance valablement émise
  • La prescription acquisitive : elle peut, dans certains cas, éteindre des droits réels

Le droit fiscal prévoit ses propres règles de prescription, distinctes du régime général. Ainsi, l’article L.186 du Livre des procédures fiscales fixe une prescription de dix ans pour certaines impositions locales. Cette dualité de régimes juridiques peut créer une complexité supplémentaire dans l’analyse des situations concrètes.

La réforme de la prescription civile issue de la loi du 17 juin 2008 a modifié les règles générales de prescription, sans toutefois remettre en cause le régime spécifique des créances publiques. Cette articulation entre droit commun et droit spécial doit être maîtrisée pour déterminer avec précision le régime applicable à chaque situation.

L’invocation de la prescription constitue un moyen de défense efficace face à un ordre de recette communal, à condition de l’utiliser dans le respect des procédures et délais prévus par les textes. Le redevable doit être particulièrement vigilant quant au point de départ du délai et aux éventuels actes interruptifs de prescription qui pourraient avoir été réalisés par l’administration.

Délais de prescription et leur computation

La question des délais de prescription applicables aux ordres de recette communaux revêt une importance capitale dans toute stratégie de contestation. Le principe général de la prescription quadriennale s’applique conformément à la loi du 31 décembre 1968, mais sa mise en œuvre pratique nécessite une analyse fine des situations.

Le point de départ du délai de prescription est fixé au premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis par la commune. Par exemple, pour une créance née le 15 mars 2021, le délai de prescription commencera à courir le 1er janvier 2022 et s’achèvera le 31 décembre 2025. Cette règle de computation, confirmée par une jurisprudence constante, offre une certaine prévisibilité juridique aux administrés.

Toutefois, plusieurs facteurs peuvent venir compliquer ce calcul apparemment simple. Les causes d’interruption de la prescription sont nombreuses et méritent une attention particulière. L’article 2244 du Code civil prévoit que toute demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription. De même, un acte d’exécution forcée ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait produisent un effet interruptif.

Dans le contexte spécifique des créances publiques, l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception par le comptable public, réclamant le paiement de la somme due, constitue également un acte interruptif de prescription. Le Conseil d’État l’a clairement établi dans sa décision du 27 juillet 2005 (n°273619).

Cas particuliers et exceptions

Certaines créances communales obéissent à des règles de prescription spécifiques :

  • Les produits locaux assimilés aux impôts directs suivent la prescription de l’article L.174 du Livre des procédures fiscales (trois ans)
  • Les redevances d’occupation du domaine public sont soumises à la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil
  • Les créances issues de décisions juridictionnelles définitives bénéficient d’un délai de prescription de trente ans

La suspension de la prescription peut intervenir dans certaines circonstances. L’article 2234 du Code civil prévoit que « la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». Concrètement, la suspension peut résulter d’une procédure collective touchant le débiteur, d’un moratoire légal ou encore d’une situation de force majeure.

La jurisprudence administrative a par ailleurs développé la notion de « créance non liquidée », pour laquelle le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où le montant de la créance peut être déterminé avec précision. Cette subtilité peut s’avérer déterminante dans certains contentieux.

La maîtrise de ces règles de computation des délais constitue un préalable indispensable à toute démarche de contestation fondée sur la prescription. Une erreur dans ce calcul peut entraîner l’irrecevabilité du recours, privant ainsi le redevable d’un moyen de défense potentiellement décisif.

Procédures de contestation d’un ordre de recette communal

La contestation d’un ordre de recette communal obéit à des règles procédurales strictes qu’il convient de respecter scrupuleusement pour préserver ses droits. Le redevable dispose de plusieurs voies de recours, qui doivent être exercées dans un ordre précis et selon des modalités déterminées par les textes.

La première étape consiste généralement à former une opposition à exécution auprès de l’ordonnateur de la commune, c’est-à-dire le maire. Cette démarche vise à contester le bien-fondé même de la créance, son montant ou l’obligation de payer. L’opposition doit être formée dans un délai de deux mois à compter de la notification de l’acte de recouvrement, conformément à l’article L.1617-5 du Code général des collectivités territoriales.

Si l’ordonnateur rejette cette opposition, ou garde le silence pendant deux mois (rejet implicite), le redevable peut alors saisir le tribunal administratif territorialement compétent. La requête doit être présentée dans les deux mois suivant la décision de rejet, explicite ou implicite. Elle doit contenir l’exposé des faits, des moyens de droit et des conclusions du requérant.

Parallèlement, il est possible de former une opposition à poursuites auprès du comptable public pour contester la régularité formelle des actes de poursuites (commandement de payer, saisie administrative à tiers détenteur, etc.). Cette voie de recours s’exerce dans un délai de deux mois à compter de la notification de l’acte contesté.

L’invocation de la prescription comme moyen de défense

L’argument tiré de la prescription peut être soulevé à différents stades de la procédure :

  • Dès l’opposition à exécution formée devant l’ordonnateur
  • Dans le cadre du recours contentieux devant le tribunal administratif
  • En appel devant la cour administrative d’appel
  • En cassation devant le Conseil d’État, si une question de droit se pose

Pour être efficacement invoquée, la prescription doit être étayée par des éléments probants permettant d’établir avec certitude la date de naissance de la créance et l’absence d’actes interruptifs dans le délai légal. La charge de la preuve de la prescription incombe généralement au redevable qui s’en prévaut, bien que la jurisprudence ait parfois nuancé ce principe.

La demande de sursis à exécution peut accompagner le recours contentieux, afin de suspendre l’obligation de paiement pendant l’instruction du dossier. Cette demande n’est accordée que si le requérant invoque des moyens sérieux et si l’exécution de la décision risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables.

Il convient de souligner que le recours à un avocat spécialisé en droit public, bien que non obligatoire en première instance, peut s’avérer déterminant pour la réussite de la contestation. La complexité des règles applicables et les subtilités jurisprudentielles justifient souvent cette assistance professionnelle, particulièrement lorsque la prescription est au cœur du débat juridique.

Enfin, la médiation préalable obligatoire, instituée par l’article L.213-11 du Code de justice administrative dans certains contentieux, peut offrir une voie de résolution amiable du litige, sans préjudice de la possibilité d’invoquer ultérieurement la prescription devant le juge administratif si cette médiation échoue.

Jurisprudence administrative relative à la prescription des créances communales

L’analyse de la jurisprudence administrative révèle des positions nuancées et parfois évolutives concernant la prescription des créances communales. Les décisions du Conseil d’État et des cours administratives d’appel constituent une source précieuse pour comprendre l’application concrète des règles de prescription aux ordres de recette émis par les communes.

Dans un arrêt fondateur du 5 mars 2003 (CE, 5 mars 2003, n°244867), le Conseil d’État a précisé que la prescription quadriennale s’applique aux créances des collectivités territoriales, indépendamment de leur nature. Cette décision a unifié le régime applicable, mettant fin à certaines incertitudes antérieures. Le juge administratif a par la même occasion rappelé que cette prescription est d’ordre public et doit être soulevée d’office par le juge, même si les parties ne l’invoquent pas.

La question du point de départ du délai de prescription a été clarifiée par la jurisprudence Société Vendasi (CE, 9 mars 2016, n°380935), qui établit que le délai court à compter du 1er janvier de l’année suivant celle au cours de laquelle la créance est devenue exigible. Cette solution, conforme à la lettre de la loi du 31 décembre 1968, offre un cadre temporel précis aux justiciables.

Concernant les actes interruptifs de prescription, la jurisprudence a progressivement élargi leur champ. Ainsi, dans son arrêt du 12 juillet 2017 (CE, 12 juillet 2017, n°402752), le Conseil d’État a jugé qu’une mise en demeure adressée par lettre recommandée avec accusé de réception constitue un acte interruptif de prescription, même en l’absence de dispositions législatives ou réglementaires spécifiques l’établissant.

Évolutions récentes de la jurisprudence

Ces dernières années, plusieurs décisions notables ont affiné l’interprétation des règles de prescription :

  • L’arrêt Commune de Saint-Paul (CE, 22 février 2017, n°397924) a précisé que la prescription ne peut être interrompue par un simple courrier ordinaire, sans preuve de sa réception par le débiteur
  • La décision Département du Var (CE, 6 novembre 2019, n°418604) a établi que la délibération d’une collectivité territoriale émettant un titre de recette n’interrompt pas la prescription
  • L’arrêt Commune de Bonifacio (CE, 10 juin 2020, n°427155) a confirmé que la prescription quadriennale s’applique même aux créances issues de l’occupation sans titre du domaine public

La Cour de cassation, bien que non compétente en matière administrative, a parfois été amenée à se prononcer sur des questions connexes, notamment lorsque des ordres de recette communaux concernent des rapports de droit privé. Sa jurisprudence, quoique distincte, peut éclairer certaines problématiques particulières.

Il convient de noter que les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel ont développé une jurisprudence abondante sur les questions de prescription, parfois avec des nuances territoriales. Cette jurisprudence de premier et second degré mérite une attention particulière, car elle peut refléter des tendances émergentes avant leur éventuelle consécration par le Conseil d’État.

La connaissance approfondie de ces positions jurisprudentielles constitue un atout majeur dans toute stratégie de contestation d’un ordre de recette communal sur le fondement de la prescription. Elle permet d’anticiper les réponses du juge administratif et d’adapter en conséquence l’argumentation juridique développée.

Stratégies efficaces pour invoquer la prescription

Pour optimiser les chances de succès dans la contestation d’un ordre de recette communal sur le fondement de la prescription, une approche méthodique et stratégique s’impose. L’efficacité de la démarche repose sur plusieurs facteurs clés qui doivent être maîtrisés par le redevable ou son conseil.

La première étape consiste à effectuer une analyse chronologique précise de la créance et des éventuels actes de poursuite. Cette reconstitution historique doit permettre d’identifier avec exactitude la date de naissance de la créance, le point de départ du délai de prescription et tous les actes susceptibles d’avoir interrompu ce délai. La rigueur dans cette analyse est fondamentale, car une erreur d’appréciation peut compromettre l’ensemble de la stratégie.

La constitution d’un dossier probatoire solide représente le deuxième pilier de cette stratégie. Le redevable doit rassembler tous les documents pertinents : titres de recette originaux, courriers échangés avec l’administration, preuves de notification, relevés bancaires attestant l’absence de paiement antérieur, etc. Ces pièces serviront à établir la réalité de la prescription et à contrer d’éventuelles allégations d’interruption du délai par la commune.

La rédaction des écritures contentieuses doit faire l’objet d’une attention particulière. L’argumentation juridique doit être structurée autour de trois axes principaux : l’établissement du délai applicable, la démonstration de son écoulement complet et la réfutation anticipée des arguments de l’administration concernant d’éventuels actes interruptifs. Les références jurisprudentielles pertinentes doivent être soigneusement sélectionnées et analysées pour étayer la position du requérant.

Tactiques procédurales

Au-delà du fond du dossier, certaines tactiques procédurales peuvent renforcer l’efficacité du recours :

  • Soulever la prescription dès la phase précontentieuse, pour contraindre l’administration à se positionner sur cette question
  • Formuler une demande d’accès au dossier administratif pour identifier d’éventuelles faiblesses dans la chaîne des actes interruptifs
  • Envisager un recours gracieux préalable, qui peut parfois aboutir à une reconnaissance administrative de la prescription sans passer par la phase contentieuse

La question du timing revêt également une importance stratégique. Dans certains cas, il peut être judicieux d’attendre l’expiration complète du délai de prescription avant d’engager toute démarche, afin d’éviter que celle-ci ne soit interprétée comme une reconnaissance de dette interruptive de prescription. À l’inverse, face à des actes de poursuites imminents, une action préventive peut s’avérer nécessaire.

L’anticipation des contre-arguments de l’administration constitue un aspect déterminant de la stratégie. Les communes invoquent fréquemment l’existence d’actes interruptifs informels (conversations téléphoniques, courriels, visites en mairie) ou tentent de requalifier la nature de la créance pour bénéficier d’un délai de prescription plus favorable. Préparer des réponses juridiquement fondées à ces arguments potentiels renforce considérablement la position du redevable.

Enfin, la négociation ne doit pas être négligée, même lorsque la prescription semble acquise. Proposer un règlement transactionnel peut parfois permettre de résoudre le litige plus rapidement et à moindre coût qu’une procédure contentieuse, tout en préservant les relations avec la collectivité locale. Cette approche pragmatique peut s’avérer particulièrement pertinente pour les résidents permanents de la commune, susceptibles d’avoir des interactions futures avec l’administration locale.

Perspectives et évolutions du droit de la prescription en matière communale

Le régime juridique de la prescription applicable aux créances communales connaît des mutations significatives, tant sous l’influence du législateur que de la jurisprudence. Ces évolutions, parfois subtiles, dessinent de nouvelles perspectives pour les redevables confrontés à des ordres de recette qu’ils estiment prescrits.

La digitalisation de l’administration locale modifie profondément les modalités d’émission et de notification des titres exécutoires. Le déploiement de plateformes numériques, comme CHORUS Pro pour les personnes publiques ou les espaces personnels dématérialisés pour les usagers, soulève des questions inédites quant au point de départ du délai de prescription. La notification électronique d’un ordre de recette constitue-t-elle une notification régulière susceptible de faire courir le délai de recours contentieux et, par voie de conséquence, d’interrompre la prescription ? Les juridictions administratives commencent à se saisir de ces problématiques contemporaines.

Une tendance de fond se dessine dans la jurisprudence récente : l’exigence croissante de sécurité juridique. Le Conseil d’État, dans plusieurs décisions rendues depuis 2018, insiste sur la nécessité pour les administrations d’établir avec certitude la chaîne des actes interruptifs de prescription. Cette orientation jurisprudentielle, favorable aux redevables, impose aux communes une rigueur accrue dans la conservation des preuves de leurs diligences en matière de recouvrement.

Sur le plan législatif, des réformes sont régulièrement évoquées pour harmoniser les différents régimes de prescription applicables aux créances publiques. La mission de simplification administrative mise en place par le gouvernement a identifié cette question comme un chantier prioritaire. Une unification des délais, actuellement disparates selon la nature des créances, pourrait intervenir dans les prochaines années, renforçant ainsi la lisibilité du droit pour les citoyens.

Défis et opportunités pour les redevables

Dans ce contexte évolutif, plusieurs défis et opportunités se présentent aux redevables souhaitant contester un ordre de recette communal sur le fondement de la prescription :

  • L’accès facilité aux données publiques, grâce aux lois sur la transparence administrative, permet de mieux documenter l’historique des créances
  • L’émergence de cabinets d’avocats spécialisés dans le contentieux de la prescription des créances publiques offre une expertise ciblée
  • Le développement de solutions algorithmiques d’analyse des délais de prescription ouvre la voie à une détection plus systématique des créances prescrites

La question de l’harmonisation européenne des règles de prescription mérite également attention. Bien que le droit des collectivités territoriales relève principalement de la souveraineté nationale, certains principes dégagés par la Cour de Justice de l’Union Européenne en matière de sécurité juridique et de protection des droits fondamentaux pourraient, à terme, influencer notre droit interne.

Les collectivités territoriales elles-mêmes évoluent dans leur approche du recouvrement. Face aux contraintes budgétaires et aux exigences d’efficacité, nombreuses sont celles qui développent des politiques de recouvrement proactives, visant à prévenir la prescription de leurs créances. Cette vigilance accrue peut paradoxalement générer des contestations plus nombreuses, les redevables étant confrontés à des réclamations portant sur des créances anciennes.

En définitive, le droit de la prescription des créances communales se trouve à la croisée des chemins, entre tradition juridique et modernisation. Dans ce paysage en mutation, la maîtrise des règles actuelles et la veille sur les évolutions à venir constituent des atouts majeurs pour quiconque souhaite contester efficacement un ordre de recette communal qu’il estime prescrit.