
Le nantissement des brevets pharmaceutiques classés secret représente un mécanisme financier complexe à l’intersection du droit des sûretés, de la propriété intellectuelle et de la sécurité nationale. Dans un contexte où les innovations pharmaceutiques peuvent revêtir une importance stratégique pour l’État, les entreprises du secteur cherchent néanmoins à valoriser leurs actifs immatériels pour obtenir des financements. Cette opération juridique soulève des problématiques spécifiques liées au caractère dual de ces brevets: à la fois actifs économiques susceptibles de nantissement et informations sensibles soumises à un régime de confidentialité renforcé. La confrontation entre les impératifs de transparence inhérents aux sûretés et les exigences de secret défense crée un cadre juridique particulièrement sophistiqué que les praticiens doivent maîtriser.
Fondements juridiques du nantissement de brevets pharmaceutiques
Le nantissement d’un brevet constitue une sûreté réelle sans dépossession permettant à son titulaire d’obtenir un financement tout en conservant l’usage de son droit de propriété intellectuelle. Cette opération trouve son cadre légal dans les dispositions du Code civil relatives aux sûretés et dans le Code de la propriété intellectuelle. L’article L. 613-8 du Code de la propriété intellectuelle prévoit expressément que « les droits attachés à une demande de brevet ou à un brevet sont transmissibles en totalité ou en partie », ce qui inclut la possibilité de les donner en nantissement.
La particularité du nantissement réside dans sa nature juridique hybride. Il s’agit d’un contrat réel qui nécessite, pour sa perfection, non seulement l’échange des consentements mais également l’accomplissement de formalités spécifiques. Pour les brevets, l’article L. 613-9 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « tous les actes transmettant ou modifiant les droits attachés à une demande de brevet ou à un brevet doivent, pour être opposables aux tiers, être inscrits sur un registre, dit Registre national des brevets, tenu par l’Institut national de la propriété industrielle ». Cette inscription est une condition d’opposabilité aux tiers et non de validité du nantissement entre les parties.
Pour les brevets pharmaceutiques, le nantissement présente des spécificités liées à la nature même de ces actifs. En effet, ces brevets protègent souvent des innovations majeures représentant des investissements considérables en recherche et développement. Leur valeur économique peut être particulièrement élevée, ce qui en fait des garanties attractives pour les établissements financiers. Toutefois, l’évaluation de cette valeur reste délicate en raison des incertitudes liées au devenir commercial du médicament, aux risques réglementaires et aux possibilités de contestation de la validité du brevet.
Le régime fiscal du nantissement de brevets présente également des particularités. L’opération de nantissement en elle-même n’entraîne pas d’imposition immédiate, mais les revenus générés par l’exploitation du brevet restent soumis au régime fiscal applicable. Depuis la loi de finances pour 2019, les revenus tirés des brevets peuvent bénéficier d’un taux réduit d’imposition sous certaines conditions, ce qui peut influencer l’attrait du nantissement comme outil de financement.
La jurisprudence a progressivement précisé les contours du nantissement de brevets. La Cour de cassation a notamment confirmé que le nantissement peut porter sur une demande de brevet en cours d’examen, et pas uniquement sur un brevet délivré (Cass. com., 12 mars 2002). Cette solution élargit considérablement les possibilités de financement pour les entreprises pharmaceutiques, dont le cycle d’innovation est particulièrement long.
Spécificités du nantissement dans le secteur pharmaceutique
Le secteur pharmaceutique présente des caractéristiques qui influencent directement les modalités du nantissement. La durée de protection effective des brevets pharmaceutiques est souvent réduite par le temps nécessaire à l’obtention des autorisations de mise sur le marché. Le certificat complémentaire de protection (CCP) permet de compenser partiellement cette réduction, mais doit être pris en compte dans la constitution du nantissement.
De plus, les brevets pharmaceutiques font l’objet d’un examen particulièrement rigoureux par les offices de brevets et sont fréquemment contestés par les concurrents. Cette fragilité potentielle doit être évaluée lors de la constitution du nantissement et peut conduire les créanciers à exiger des garanties supplémentaires.
- Vérification approfondie de la validité du brevet avant constitution du nantissement
- Analyse des risques de contestation par des tiers
- Évaluation de la durée effective de protection restante
- Examen des possibilités d’extension internationale de la protection
Le régime juridique des brevets classés secret défense
La classification d’un brevet pharmaceutique comme secret défense introduit une dimension supplémentaire dans le régime juridique applicable. Ce classement relève des dispositions du Code de la défense, notamment ses articles L. 2311-1 et suivants qui définissent le cadre général de la protection du secret de la défense nationale. Un brevet peut être classifié lorsque sa divulgation est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, ce qui peut concerner certaines innovations pharmaceutiques stratégiques comme les contre-mesures médicales face aux menaces NRBC (nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques) ou certains traitements innovants à application duale.
La procédure de classification intervient généralement sur initiative de l’État via le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) qui peut être alerté par l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) lors du dépôt d’une demande de brevet sensible. L’article L. 612-9 du Code de la propriété intellectuelle prévoit spécifiquement que « les inventions faisant l’objet de demandes de brevet ne peuvent être divulguées et exploitées librement aussi longtemps qu’une autorisation n’a pas été accordée à cet effet ». La classification peut intervenir à différents niveaux (Très Secret-Défense, Secret-Défense, Confidentiel-Défense), chaque niveau impliquant des contraintes spécifiques.
Les conséquences juridiques de cette classification sont multiples. D’abord, elle entraîne une restriction significative des droits du titulaire du brevet qui ne peut plus librement exploiter ou céder son invention sans autorisation préalable. Ensuite, elle impose des obligations de protection renforcées: locaux sécurisés, habilitations du personnel, procédures spécifiques de manipulation des informations. La violation du secret défense constitue un délit pénal sévèrement sanctionné par l’article 413-10 du Code pénal, qui prévoit jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.
Pour les entreprises pharmaceutiques, cette classification peut représenter à la fois un atout et une contrainte. D’un côté, elle peut ouvrir droit à des marchés publics spécifiques liés à la défense nationale ou à des financements particuliers. De l’autre, elle limite considérablement la liberté d’exploitation commerciale et peut complexifier les partenariats internationaux.
La déclassification d’un brevet secret défense suit une procédure stricte et n’est jamais automatique. Elle nécessite une décision formelle de l’autorité ayant procédé à la classification initiale, généralement après réévaluation de la sensibilité des informations concernées. Cette déclassification peut être partielle ou totale et conditionnée à certaines mesures de protection résiduelles.
Régime d’exception pour les brevets intéressant la défense nationale
Le Code de la propriété intellectuelle prévoit un régime dérogatoire pour les brevets intéressant la défense nationale. L’article L. 612-10 dispose que « si l’invention n’est pas classifiée, l’autorisation de divulguer et d’exploiter librement l’invention est acquise de plein droit au terme d’un délai de cinq mois à compter du dépôt de la demande de brevet ». Ce délai permet aux autorités compétentes d’examiner l’invention et de décider si une classification est nécessaire.
Les brevets pharmaceutiques classés secret font l’objet d’une procédure d’examen spécifique à l’INPI, impliquant des examinateurs habilités au niveau de classification requis. La publication de ces brevets est adaptée pour préserver les informations sensibles tout en assurant une protection juridique effective de l’invention.
L’articulation complexe entre nantissement et secret défense
La confrontation entre les mécanismes du nantissement et les exigences du secret défense génère une tension juridique fondamentale. D’un côté, le nantissement repose sur des principes de publicité et de transparence, nécessaires pour assurer l’opposabilité aux tiers et la sécurité juridique de la transaction. De l’autre, le régime du secret défense impose une confidentialité stricte des informations protégées et limite leur circulation.
Cette contradiction apparente trouve une résolution partielle dans l’adaptation des procédures d’inscription du nantissement. L’article R. 613-57 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « les demandes d’inscription au Registre national des brevets sont présentées par une requête écrite adressée à l’Institut national de la propriété industrielle ». Pour les brevets classés secret, cette procédure fait l’objet d’aménagements spécifiques: l’inscription est réalisée dans une section confidentielle du Registre national des brevets, accessible uniquement aux personnes dûment habilitées.
La mise en œuvre du nantissement nécessite l’établissement d’un contrat décrivant précisément l’objet de la garantie. Pour un brevet classé secret, ce contrat doit lui-même être considéré comme un document classifié, ce qui implique des contraintes particulières dans sa rédaction, sa conservation et sa communication aux parties. Tous les intervenants (rédacteurs, signataires, témoins) doivent disposer des habilitations nécessaires au niveau de classification concerné.
L’évaluation financière du brevet, étape cruciale dans la constitution du nantissement, se trouve compliquée par les restrictions d’accès aux informations techniques détaillées. Les experts évaluateurs doivent être spécifiquement habilités, ce qui réduit considérablement le nombre de professionnels susceptibles d’intervenir. Cette contrainte peut affecter la précision de l’évaluation et, par conséquent, la valeur de la garantie offerte au créancier.
En cas de défaillance du débiteur et de réalisation du nantissement, des problématiques spécifiques émergent. La vente forcée du brevet classé secret ne peut s’effectuer qu’au profit d’un acquéreur préalablement habilité et agréé par les autorités compétentes. Cette restriction réduit considérablement le marché potentiel et peut affecter la valeur de réalisation du bien. Dans certains cas, l’État peut exercer un droit de préemption sur le brevet mis en vente, conformément aux dispositions de l’article L. 613-20 du Code de la propriété intellectuelle.
Le rôle des autorités de défense dans le processus de nantissement
La mise en place d’un nantissement sur un brevet classé secret nécessite l’intervention active des autorités de défense. Le SGDSN ou l’autorité ayant procédé à la classification doit autoriser préalablement l’opération de nantissement, après évaluation des risques potentiels pour la sécurité nationale.
Cette autorisation peut être assortie de conditions particulières visant à garantir la protection des informations sensibles tout au long de la durée du nantissement. Ces conditions peuvent inclure:
- Désignation d’un officier de sécurité dédié au suivi de l’opération
- Limitation du cercle des personnes informées de l’existence du nantissement
- Procédures spécifiques pour la consultation des documents relatifs au nantissement
- Modalités particulières de réalisation de la garantie en cas de défaillance
Les stratégies contractuelles adaptées aux brevets pharmaceutiques classés
Face aux contraintes spécifiques liées au nantissement de brevets pharmaceutiques classés secret, les praticiens ont développé des stratégies contractuelles innovantes permettant de concilier les impératifs de financement des entreprises et les exigences de la défense nationale. Ces approches reposent sur une construction juridique sophistiquée qui segmente les différents aspects du brevet.
La première stratégie consiste à mettre en place un nantissement à deux niveaux. Dans cette configuration, le nantissement porte formellement sur le titre de propriété industrielle (le brevet en tant que titre administratif) sans nécessiter l’accès aux informations techniques classifiées. Un accord distinct, soumis aux règles du secret défense, organise les modalités d’exploitation du brevet en cas de réalisation du nantissement. Cette dissociation permet de maintenir la confidentialité des informations sensibles tout en offrant une garantie juridiquement solide au créancier.
Une deuxième approche implique le recours à des structures intermédiaires spécifiquement habilitées. Une société ad hoc (Special Purpose Vehicle) détenant les habilitations nécessaires peut être constituée pour porter le brevet et servir d’interface entre le titulaire initial, le créancier et les autorités de défense. Cette entité peut être structurée de manière à garantir à la fois les intérêts du créancier en cas de défaillance et le maintien de la confidentialité des informations classifiées.
L’utilisation de mécanismes fiduciaires représente une troisième voie. Depuis l’introduction de la fiducie en droit français par la loi du 19 février 2007, cette technique peut être mobilisée pour organiser le nantissement de brevets sensibles. Un établissement financier spécifiquement habilité peut agir en qualité de fiduciaire, détenant le brevet dans un patrimoine d’affectation avec une double mission de préservation de la confidentialité et de protection des intérêts du créancier.
Ces différentes approches nécessitent une documentation contractuelle particulièrement élaborée. Les contrats doivent prévoir avec précision:
- Les modalités d’accès aux informations classifiées
- Les procédures d’autorisation préalable pour toute modification du nantissement
- Les conditions de réalisation de la sûreté compatibles avec les exigences du secret défense
- Les mécanismes de règlement des différends adaptés au contexte confidentiel
La rédaction de ces contrats nécessite l’intervention de juristes spécialisés à la fois en droit des sûretés, en propriété intellectuelle et en droit de la défense. Cette expertise pluridisciplinaire rare contribue à la complexité et au coût de mise en place de ces opérations.
Clauses essentielles du contrat de nantissement
Le contrat de nantissement d’un brevet pharmaceutique classé secret doit contenir plusieurs clauses spécifiques. Une clause de confidentialité renforcée doit préciser les obligations des parties en matière de protection des informations classifiées, en conformité avec les exigences du Code de la défense. Cette clause doit notamment détailler les procédures de manipulation des documents, les habilitations requises et les sanctions contractuelles en cas de violation.
Une clause d’autorisation préalable doit prévoir l’obtention systématique de l’accord des autorités compétentes avant toute modification substantielle du contrat ou toute mesure d’exécution. Cette clause peut prévoir des délais incompressibles d’instruction des demandes par les services concernés.
Les modalités de réalisation du nantissement doivent faire l’objet d’une attention particulière. Le contrat doit définir un processus compatible avec les contraintes du secret défense, pouvant inclure une liste préétablie d’acquéreurs potentiels déjà habilités ou un mécanisme de validation préalable par les autorités.
Perspectives d’évolution et enjeux stratégiques
Le nantissement des brevets pharmaceutiques classés secret s’inscrit dans un contexte en mutation rapide, marqué par l’évolution des technologies, des menaces sécuritaires et du cadre réglementaire. Plusieurs tendances de fond sont susceptibles d’influencer cette pratique juridique dans les années à venir.
La première tendance concerne l’internationalisation croissante de la recherche pharmaceutique. Les projets d’innovation impliquent désormais fréquemment des équipes multinationales et des financements transfrontaliers. Cette dimension internationale complique la gestion des brevets classés secret, traditionnellement encadrés par des législations nationales. Des mécanismes de coopération entre États émergent progressivement, comme les accords de sécurité bilatéraux qui permettent le partage contrôlé d’informations classifiées. Ces accords pourraient à terme faciliter le nantissement transfrontalier de brevets sensibles.
La deuxième évolution majeure concerne la financiarisation accrue de la propriété intellectuelle. Les brevets sont de plus en plus considérés comme des actifs financiers à part entière, susceptibles d’être valorisés, échangés ou utilisés comme garantie. Cette tendance pousse à l’élaboration de méthodes d’évaluation plus sophistiquées et standardisées, y compris pour les brevets soumis à des restrictions de confidentialité. Des experts spécialisés dans l’évaluation d’actifs classifiés développent progressivement des méthodologies adaptées, permettant de déterminer une valeur de marché même en l’absence de divulgation complète des informations techniques.
Sur le plan réglementaire, plusieurs évolutions récentes ou anticipées méritent d’être soulignées. La réforme du droit des sûretés opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a modernisé le cadre juridique du nantissement de biens incorporels, avec des impacts potentiels sur le nantissement de brevets. Parallèlement, la Commission européenne travaille à l’harmonisation des règles relatives à la protection des informations sensibles dans le cadre de sa stratégie de sécurité et de défense, ce qui pourrait faciliter les opérations transfrontalières impliquant des brevets classés.
L’émergence de technologies duales dans le domaine pharmaceutique constitue un autre facteur d’évolution significatif. Les avancées en biotechnologie, en nanomédecine ou en thérapie génique peuvent présenter simultanément un intérêt civil et militaire. Cette dualité croissante pourrait conduire à une augmentation du nombre de brevets pharmaceutiques susceptibles d’être classifiés, rendant plus pressante la nécessité de disposer de mécanismes de financement adaptés.
Les crises sanitaires récentes, notamment la pandémie de COVID-19, ont mis en lumière le caractère stratégique de certaines innovations pharmaceutiques et pourraient inciter les États à élargir le champ des brevets considérés comme relevant de la sécurité nationale. Cette tendance renforcerait le besoin de solutions juridiques permettant de concilier protection du secret et valorisation économique des innovations.
Vers un cadre juridique harmonisé au niveau européen?
La Commission européenne et plusieurs États membres ont initié des réflexions sur l’harmonisation des règles relatives aux actifs immatériels classifiés. Le programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (EDIDP) et son successeur, le Fonds européen de défense (FED), intègrent des dispositions spécifiques concernant la gestion de la propriété intellectuelle sensible. Ces initiatives pourraient à terme aboutir à un cadre juridique européen facilitant le nantissement transfrontalier de brevets classés.
Plusieurs pistes d’évolution sont actuellement explorées:
- Création d’un registre européen confidentiel pour les brevets classifiés
- Harmonisation des procédures d’habilitation des personnes physiques et morales
- Élaboration de standards communs pour l’évaluation des brevets sensibles
- Développement de mécanismes de financement spécifiques soutenus par la Banque européenne d’investissement
Ces évolutions s’inscrivent dans une volonté plus large de renforcer l’autonomie stratégique européenne dans les secteurs sensibles, dont l’industrie pharmaceutique fait partie. Le nantissement de brevets classés pourrait ainsi devenir un outil au service d’une politique industrielle et de défense commune.
Défis pratiques et solutions innovantes
La mise en œuvre concrète d’un nantissement sur un brevet pharmaceutique classé secret soulève des défis pratiques considérables que les acteurs du secteur s’efforcent de surmonter par des approches innovantes. Ces difficultés opérationnelles concernent tant les aspects juridiques que techniques, financiers ou organisationnels.
Le premier défi majeur réside dans la compatibilité des systèmes d’information utilisés pour la gestion du nantissement avec les exigences de sécurité applicables aux informations classifiées. Les systèmes informatiques standard des établissements financiers ne sont généralement pas conçus pour traiter des données classifiées, ce qui peut nécessiter le développement d’infrastructures dédiées et sécurisées. Certaines institutions financières spécialisées dans le financement du secteur de la défense ont développé des environnements informatiques certifiés permettant de gérer ces opérations particulières.
La formation des personnels impliqués constitue un second enjeu critique. Les juristes, financiers et gestionnaires intervenant dans le processus doivent non seulement maîtriser les aspects techniques du nantissement et de la propriété intellectuelle, mais également être formés aux procédures de protection du secret défense. Des programmes de formation spécifiques ont été développés, souvent en partenariat avec les autorités militaires, pour permettre aux professionnels du secteur privé d’acquérir ces compétences particulières.
L’évaluation financière du brevet demeure une problématique centrale. Comment déterminer précisément la valeur d’un actif dont les caractéristiques techniques ne peuvent être pleinement divulguées? Plusieurs approches méthodologiques ont émergé pour répondre à cette question. Certains évaluateurs spécialisés ont développé des modèles basés sur des données partielles, complétées par des analyses comparatives avec des technologies similaires non classifiées. D’autres privilégient une approche par les revenus potentiels, en s’appuyant sur des projections de marché établies sur la base d’informations non sensibles.
La gestion des incidents potentiels représente un quatrième défi significatif. Que se passe-t-il en cas de compromission accidentelle d’informations classifiées durant la vie du nantissement? Des protocoles spécifiques doivent être établis pour réagir rapidement et limiter les conséquences d’une telle situation. Ces protocoles définissent généralement une chaîne d’alerte impliquant le titulaire du brevet, le créancier nanti et les autorités compétentes en matière de protection du secret.
Enfin, la fin du nantissement soulève des questions particulières lorsqu’elle coïncide avec une évolution du niveau de classification du brevet. Si le brevet est déclassifié pendant la durée du nantissement, des ajustements contractuels peuvent être nécessaires pour adapter les modalités de la garantie au nouveau statut de l’actif. À l’inverse, un renforcement du niveau de classification peut compromettre certains aspects du nantissement et nécessiter une renégociation.
Solutions innovantes développées par la pratique
Face à ces défis, plusieurs solutions innovantes ont été développées par les praticiens. L’une des approches les plus prometteuses consiste à recourir à des tiers de confiance spécialement habilités. Ces entités, souvent issues du secteur public ou parapublic, peuvent servir d’intermédiaires entre le titulaire du brevet, le créancier et les autorités de défense. Elles assurent la conservation sécurisée des informations sensibles tout en garantissant les droits des parties au contrat de nantissement.
Une autre innovation notable réside dans le développement de contrats intelligents sécurisés pour la gestion des nantissements sensibles. Ces solutions, basées sur la technologie blockchain avec des niveaux de chiffrement renforcés, permettent d’automatiser certains aspects de la gestion du nantissement tout en maintenant un niveau élevé de sécurité. La Direction générale de l’armement (DGA) a d’ailleurs lancé plusieurs expérimentations dans ce domaine.
Des mécanismes de garantie subsidiaire ont également été élaborés pour compléter le nantissement du brevet classé. Ces garanties complémentaires, portant sur des actifs non classifiés, permettent de renforcer la position du créancier sans nécessiter l’accès à l’ensemble des informations sensibles relatives au brevet principal.
- Nantissement complémentaire sur des brevets non classifiés du même portefeuille
- Garanties sur les flux financiers futurs générés par l’exploitation du brevet
- Mécanismes d’assurance spécifiques couvrant le risque de dévalorisation du brevet
Enseignements tirés de la pratique et conseils stratégiques
L’expérience accumulée par les praticiens dans la mise en œuvre de nantissements sur des brevets pharmaceutiques classés secret permet de dégager plusieurs enseignements et de formuler des recommandations stratégiques pour les acteurs confrontés à cette situation particulière. Ces retours d’expérience proviennent principalement d’opérations réalisées dans le cadre de programmes de recherche sensibles liés à la défense biologique ou à des traitements innovants présentant un intérêt stratégique.
Le premier enseignement majeur concerne l’importance d’une anticipation maximale. La complexité des procédures et la multiplicité des intervenants imposent d’initier les démarches bien en amont de la date souhaitée pour la mise en place effective du nantissement. Un délai de 6 à 12 mois n’est pas inhabituel pour finaliser l’ensemble du processus, depuis les premières discussions jusqu’à l’inscription au registre spécial. Cette anticipation permet notamment de s’assurer que toutes les personnes impliquées disposent des habilitations nécessaires ou peuvent les obtenir dans des délais compatibles avec le projet.
La communication entre les différentes parties prenantes constitue un second facteur critique de succès. L’expérience montre que la désignation précoce d’un coordinateur unique, interface entre l’entreprise pharmaceutique, l’établissement financier et les autorités de défense, facilite grandement le déroulement du processus. Ce coordinateur, nécessairement habilité au niveau approprié, assure la cohérence des échanges et veille au respect des procédures de sécurité tout au long de l’opération.
Un troisième enseignement concerne la structuration optimale du nantissement. La pratique tend à privilégier des montages relativement simples dans leur architecture juridique, malgré la complexité intrinsèque du sujet. Cette simplicité relative facilite l’obtention des autorisations nécessaires et limite les risques d’incompréhension ou d’erreur dans la mise en œuvre. Les montages sophistiqués impliquant de multiples niveaux d’intermédiation ou des structures offshore se sont généralement révélés problématiques dans le contexte particulier des actifs classifiés.
L’approche de la valorisation du brevet constitue un quatrième point d’attention majeur. Les retours d’expérience suggèrent qu’une évaluation prudente, validée par plusieurs experts indépendants habilités, offre les meilleures garanties de pérennité pour l’opération. Une surévaluation initiale peut conduire à des difficultés significatives en cas de réalisation du nantissement, tandis qu’une sous-évaluation excessive prive l’entreprise pharmaceutique d’une partie de sa capacité de financement.
Enfin, la gestion de la confidentialité au sein même des organisations impliquées mérite une attention particulière. La pratique recommande l’application stricte du principe du « besoin d’en connaître », limitant l’accès aux informations sensibles aux seules personnes directement impliquées dans l’opération. Cette compartimentalisation, bien que parfois contraignante sur le plan opérationnel, constitue la meilleure protection contre les risques de divulgation accidentelle d’informations classifiées.
Conseils pratiques pour les entreprises pharmaceutiques
Pour les entreprises pharmaceutiques envisageant le nantissement d’un brevet classé secret, plusieurs recommandations pratiques peuvent être formulées:
- Constituer une équipe dédiée, restreinte et formée aux enjeux du secret défense
- Engager un dialogue précoce avec les autorités de défense concernées
- Identifier les établissements financiers disposant d’une expérience préalable dans ce type d’opérations
- Préparer une documentation technique à plusieurs niveaux de confidentialité
- Prévoir des mécanismes contractuels flexibles pour adapter le nantissement à d’éventuelles évolutions du niveau de classification
Ces conseils, issus de l’expérience pratique, permettent d’optimiser les chances de succès d’une opération intrinsèquement complexe et de maximiser la valeur financière qui peut être tirée d’un brevet pharmaceutique malgré sa classification.